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Du pollen et du nectar d’arbres et arbustes, toute l’année

Selon Yves Darricau, promoteur téméraire de l’apiforesterie, « il est possible et même urgent de penser à offrir des fleurs mellifères au fil de l’année, en particulier en dehors du printemps, grâce aux arbres et aux arbustes ! Pour les pollinisateurs et les oiseaux, pour diversifier notre palette végétale et pour favoriser la biodiversité ».

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«Les ressources mellifères pâtissent du réchauffement climatique, de la sim­­plification de nos paysages. Pour les abeilles et autres pollinisateurs, il faut particulièrement veiller à leur offrir du pollen et du nectar régulièrement toute l’année en adaptant la pa­lette végétale. Pour cela, il faut revoir nos gestions paysagères. »

Ainsi s’exprime Yves Darricau*, ingénieur agronome, apiculteur et planteur d’arbres, auteur du livre Planter des arbres pour les abeilles, l’api-foresterie de demain. Il a partagé ses connaissances lors d’une conférence en ligne, organisée le 24 mars dernier par la Société nationale d’horticulture de France (SNHF). L’intervenant n’hésite pas à y voir un « vrai défi clima­tique et alimentaire ».

Alimenter les auxiliaires

L’apiforesterie, qui constitue un concept et une pratique encore méconnus, favo­rise l’apiculture par la composante arborée, qui englobe les végétaux les plus ré­silients. Elle relie l’apiculteur et les planteurs d’arbres. Pour Yves Darricau, « de nouvelles plantes recrues, des “raretés à sortir des arboretums”, des créations horticoles – sous-employées – et l’acclimatation de nouvelles plantes, issues notamment d’Asie tempérée, doivent nous permettre d’adapter nos paysages et nos jardins pour ce défi à affronter ».

L’apiforesterie consiste à définir et planter une palette d’arbres les plus résistants aux conditions climatiques régionales, intégrant en particulier les créations horticoles ornementales. Il s’agit de planifier, localement, les potentiels de floraison afin de fournir du pollen (varié) et du nectar toute l’année. La difficulté réside en particulier en dehors de la saison printanière, la plus abondamment fournie.

Des insectes en porte-à-faux car asynchrones avec les floraisons

Actuellement, avec le dérèglement climatique, le climat devient moins tempéré, plus chaud et plus sec : il rend les floraisons plus précoces. On constate déjà une avancée moyenne d’une semaine au printemps et d’environ trois semaines à un mois en été… même si des disparités sont cependant relevées.

Si des pics de floraison arrivent en même temps, se chevauchent, ils créent alors des « trous floraux ». On peut même parler d’un manque – le « lack of flowers » des chercheurs anglais –, les premiers à alerter sur la baisse de la ressource florale en quantité et diversité. Car, tant en France qu’au Royaume-Uni, depuis les années 1950 et même 1930, les paysages ont été beaucoup simplifiés, et donc leur flore. Des « mers de vignes », le remembrement des champs, les labours des prairies permanentes au profit des ensilages de raygrass et maïs… ont souvent supprimé les haies bocagères. Quelques îlots d’acacias, de chênes, conservés pour l’exploitation du bois, s’avèrent désormais insuffisants. Dans quantité de terroirs, on a supprimé les fleurettes et les délaissés semi-naturels qui faisaient la jonction entre les grands arbres mellifères et le lierre en automne. Les paysages périurbains sont tout aussi pauvrement arborés et peu fleuris.

L’ensemble provoque des pénuries pour les garde-manger des pollinisateurs, notamment avant l’hiver. Or nombre d’insectes ont besoin d’une grande quantité et variété de nutriments et des réserves adipeuses (la vitellogénine). D’où la nécessité d’une diversité florale,permanente !

Autre point : si les hivers deviennent plus doux sans offrir de floraison, les abeilles et bourdons (actifs à plus de 8 °C) doivent ressortir, brûlent leur énergie, puisent dans leurs réserves de miel, au détriment de la prochaine génération… Il faut alors les nourrir, les transhumer plus au nord ou mettre les ruches en chambre froide pour qu’elles croient être en hiver ! Cela se pratique entre la Californie et le nord des États-Unis en raison de la floraison perturbée des amandiers.

Dans l’Hexagone, si le climat tempéré et frais se radoucit en hiver lorsqu’il n’y a pas de fleurs, les insectes aussi se trouvent en porte-à-faux, asynchrones. Dans les paysages, simplifiés à outrance par une monoculture, il n’y rien de disponible avant la floraison de la culture en place : tout est disponible à ce seul moment, il n’y a plus rien avant, ni après. Dilemme : qu’y a-t-il de plus cher entre la mise en place d’une logistique de transport et de chambres froides ou la réalisation de plantations adaptées fleurissant dans le « trou » créé ?

Un risque invasif ? Non si…

Les questions avec les internautes qui assistaient à la conférence n’ont pas éludé le risque de dissémination des plantes exotiques introduites. Et Yves Darricau de rappeler que « beaucoup de plantes d’Asie tempérée sont connues. Leurs graines sont souvent mangées et dispersées par les oiseaux. Or elles n’ont pas montré de caractère invasif ». Celles dont il parle n’ont pas assez de dynamisme pour se multiplier seules, a priori.

« Bien sûr, il vaut mieux ne pas planter massivement, et le faire de façon très diversifiée, reprend-il. Mieux vaut préférer des îlots dans les aménagements paysagers, en quantités complémentaires (en nombre et en propriétés alimentaires). Les introductions ne sont pas vouées à devenir des monocultures. Il est donc judicieux de les prévoir en complément des périodes de floraison locales. Le couperet restera le gel : on ne peut pas “méditerranéiser” tout le territoire hexagonal. Reste qu’avec les avancées des floraisons et l’appauvrissement en fleurs indigènes, il devient très important, surtout dans les paysages agricoles intensifs, de trouver des solutions. Nous avons en grande partie la palette pour ! »

Il faut cependant vite innover en revisitant les arboretums, en créant des variétés à floraisons décalées et en prospectant  avec les critères du moment – les zones tempérées, en particulier celles d’Asie, mises en avant par Yves Darricau, où de nombreuses espèces et cultivars restent à valoriser ici.

Odile Maillard

*Diplômé de l’institut national agronomique AgroParisTech, a travaillé dans divers programmes­ internationaux européens ou des Nations­ unies comme consultant international­ et conseiller.

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